Journal d’une fille-chien, de Laura Jaffé

Quoi quoi quoi ? Une nouvelle chronique au terme d’une interminable pause estivale (à tel point qu’elle a débuté au printemps pour s’achever en automne mais chut, on n’a rien vu) ? Non, vous ne rêvez pas, oui, Face de citrouille est reviendue, mais bref, je m’arrête là parce que j’ai pas assez de chapeau pointu pour prétendre avoir une rime en « u ».

Parlons de Journal d’une fille-chien, donc. Un livre détonnant que les éditions La ville brûle ont eu la gentillesse de m’offrir à l’occasion de sa parution, le 20 septembre dernier. Un livre dévoré tout cru et ça, c’était pas couru d’avance : depuis quelques mois, côté lectures, je picore plus qu’autre chose, la faute à… la vie ? le réchauffement climatique ? les vacances ? les biscuits trop secs ? Ché pas. C’est compliqué, j’vous dis.

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Le résumé

Josépha a une particularité : elle est une fille-chien. Elle ne mange pas de croquettes, certes, mais sa pilosité hors-normes la place du côté des marginaux. Malheureusement pour elle, à l’heure où se déroule notre histoire – en 2038 et des brouettes-, il ne fait pas bon sortir des clous. Le gouvernement semble de plus en plus déterminé à régler le problème des « non-conformes », ces individus dont la différence ou le handicap attise aussi bien le mépris que la suspicion…

Mon avis

Si vous me suivez depuis un moment, vous savez peut-être que Max, de Sarah Cohen-Scali, est l’un de mes romans jeunesse préférés. Difficile de ne pas faire le lien entre ces deux ouvrages lorsque l’on tourne les pages de Journal d’une fille-chien : si ce dernier se veut tout à fait fictif, il ne cache pas sa filiation avec ses prédécesseurs. Anticipant un futur proche, c’est bien dans notre monde à nous qu’il s’inscrit – avec tout ce qu’il a de plus injuste. Lorsqu’elle entame l’écriture de son journal, Josépha s’inspire d’ailleurs (bien qu’à contrecœur) d’une autre adolescente tristement célèbre :

D’un côté, la jolie Anne Frank, morte avant sa première poussée d’acné, ange noir et blanc immortalisé en couverture son célèbre Journal traduit en plus de soixante langues. De l’autre côté, moi, hideuse, à peine regardable, laide comme un pou  mutant. Moche comme tu n’as jamais vu, comme tu ne verras jamais, affreuse à un point que tu n’oses même pas imaginer.

Le thème central de ce livre, donc, vous l’avez peut-être deviné, c’est l’eugénisme. Comment aborder une question aussi difficile auprès de jeunes lecteur·ice·s ? Laura Jaffé a su trouver, il me semble, le ton qu’il fallait et le dosage adéquat. Si les faits relatés et suggérés sont d’une violence glaçante, la plume de Josépha – percutante, imagée, mordante parfois, à côté de la plaque par moments, puis de plus en plus lucide – apporte un souffle nécessaire.

Tu sais, toi, ce que ça veut dire « traitement miséricordieux » ? Pour le « traitement », pas de problème, je vois bien de quoi il peut s’agir : gélules, comprimés, piqûres, perfusions, et même poudre de perlimpinpin à l’occasion… Mais pour la miséricorde ? Dans miséricordieux, il y a misère et il y a Dieu. Peut-être que les médecins du Centre, aidés de leur nouveau Dieu du Progrès, ont finalement mis au point un traitement révolutionnaire susceptible de débarrasser tous les « différents » comme nous de leur misère congénitale ou génétique ?

Sa plume, donc, représente la dernière parcelle d’humanité dans une société biberonnée à la propagande médiatique et convaincue que les « non-conformes » ne sont pas assez rentables (ça vous rappelle un peu certains discours ? Ahem). C’est, je trouve, l’aspect le plus chouette de ce roman : à la laideur – qui n’est peut-être finalement pas où l’on croit – du monde s’oppose la beauté de ce que construisent, ensemble, les enfants pas assez ceci et trop cela dont on voudrait bien se débarrasser, pffuit. La chaleur qu’évoquent leurs amours, leurs amitiés, leur solidarité, ne suffit peut-être pas à ébranler la froideur des laboratoires où les humanités sont déniées, mais elle caractérise assez bien la colère optimiste de Josépha et ses acolytes, jusqu’à leur décision de résister.

En bref

Le ton, le dynamisme et la petite centaine de pages de Journal d’une fille-chien en font une dystopie accessible, prouvant que l’on peut faire cogiter les lecteur·ice·s sans nécessairement leur infliger de soporifiques tartines. C’est un livre intelligent et instructif (un bref historique de l’origine des thèses eugénistes ainsi que de leur mise en œuvre sous le régime nazi est proposé à la fin de l’ouvrage), qui a le mérite de nous montrer le pire tout en donnant des billes pour préserver le meilleur.

Je ne saurais cependant pas m’avancer quant à la qualité de la représentation du handicap. Il est certain, en tout cas, que Josépha elle-même n’est pas exempte de propos violents puisqu’elle est le produit d’un monde validiste. Cet aspect-là, ainsi que la nature de l’idéologie et des évènement dépeints, sont à prendre en considération avant de se lancer dans une telle lecture (ou de la recommander !).

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Journal d'une fille-chien
Laura Jaffé, chez La ville brûle
Parution le 20 septembre 2018
EAN : 9782360121021 
104 pages - 10€
à partir de 12 ans

3 commentaires sur « Journal d’une fille-chien, de Laura Jaffé »

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